TRIBUNES
commençons par une petite prédiction : Le mot "antisystème" va remplacer peu à peu le mot "populiste" dont la disgrâce artificielle commence à s’user. Oh ! Cela pourrait être une prédiction à deux sous, si on ne savait à quel point les mots, et le sens qu’on leur donne, peuvent influencer les esprits, canaliser les opinions et, pour finir, orienter les votes.
Un article du Figaro du 25 octobre 2020 relate que "79% des électeurs envisagent un vote antisystème en 2022, selon l’indicateur de protestation électorale Fondapol-Le Figaro".
L’intitulé même du sondage - "indicateur de protestation électorale", comme on dit "baromètre de la délinquance" ou "statistiques des délits de fuite sur la route"- prêterait à sourire s’il ne témoignait d’un déni insensé et d’une dérive morale alarmante.
Un déni insensé car les rédacteurs-analystes du sondage oublient de relever qu’à 80 %, l’échantillon d’individus dont ils parlent n’est plus minoritaire (ce que sont implicitement les protestataires) mais est devenu majoritaire et forme de fait une tendance consensuelle.
Une dérive morale car cet oubli inepte démontre une duplicité manifeste qui rappelle avec insistance celle identifiée en leur temps par Serge Halimi, Paul Nizan et, à sa façon, Pierre Bourdieu, celle des "chiens de garde". Les chiens de garde sont toujours là, plus que jamais prêts à défendre bec et ongles, crocs et griffes, la pensée unique, le politiquement correct, l’orthodoxie libérale auxquels ils vouent un culte, une dévotion à la mesure de leur désir d’appartenance à une élite sans laquelle leur existence, leur confort et celui de leur famille n’existeraient pas. Cette dérive morale consiste à faire sécession du peuple pour ne pas avoir à subir son sort tout en rejoignant ceux qui s’exercent à le dominer. On parle là de la lâcheté des capots.
Ceux-là, les chiens de garde, aiment à occuper une place en dehors du champ d’observation. Ils analysent, auscultent des corps étrangers, extérieurs à leur monde. Ce faisant, s’en détachent et, plus ils s’en éloignent, plus ils se sentent en capacité d’asséner des jugements définitifs fondés précisément, de façon inepte, sur cette distanciation qui, pour l’occasion, les place implicitement, au-dessus de cette mêlée protestataire.
Alors qu’est-ce qu’une protestation électorale ? De quoi ces gens parlent-ils ? Autour de quels critères s’articule cet indicateur ? Il est clair que l’entreprise fleure bon l’orthodoxie conservatrice infatuée de sa certitude de se trouver au point d’équilibre du prêt-à-penser pour les autres.
Ne tournons pas autour du pot : les votes LREM, PS, LR, EELV n’y figurent pas. Si l’on cerne bien le mot "antisystème", les principaux partis de gauche dits extrêmes et les partis de droite affublés de la même extrêmitude n’y figurent pas non plus puisqu’ils cautionnent peu ou prou l’agencement démocratique du pays, son appartenance à l’UE et l’ordre financier qui administre les sociétés mondialisées.
Ne tournons pas autour du pot : cette protestation électorale, ce vote antisystème est censé mettre en scène un univers chaotique et gesticulant duquel aucune solution constructive ne pourra jamais émerger.
La méthode est maintenant éculée : Mise à l’index d’une catégorie de la population estampillée d’un critère forcément négatif pour ensuite l’expulser du champ de l’orthodoxie ambiante. La protestation électorale est ainsi considérée comme un symptôme dysfonctionnel sur lequel on peut théoriser entre observateurs journalistes, sociologues, universitaires et politiques.
On se souvient des "foules haineuses", des "gaulois réfractaires" ou des "sans-dents". Alors, sous des aspects plus doctes, cette instance sondagière Fondapol-Le Figaro commence à nous parler d’électeurs antisystème. Et ce n’est qu’un début.
D’abord, si par hasard vous ne faites pas partie de ces 79 %, vous pourrez vous targuer de ne pas être de ces contestataires, et vous ranger du côté des observateurs dépassionnés qui, eux, ont la tête sur les épaules. Si vous n’êtes pas de cette élite, inconsciemment vous aurez la satisfaction et même l’honneur de vous en rapprocher.
Mais le plus important dans cette annonce, ce n’est pas le chiffre mais le mot, "antisystème". On aurait pu écrire "79 % des électeurs envisagent un vote alternatif", "envisagent un vote dissident", "envisagent un vote opposant" ou "un vote militant", ou encore "un vote de changement de système" ou "d’inversion du système".
L’article aurait pu titrer dans un sursaut d’optimisme sur "un renversement de normalité" ou sur "une nouvelle vision devenue majoritaire dans le pays". Non, malgré le chiffre remarquable (à la hauteur du soutien aux mouvement des gilets jaunes), l’indicateur identifie un comportement assurément déviant qu’il s’agit de sonder et de soigner. Aucune chance que l’antisystèmisme ne devienne une tendance acceptable.
Mettons-nous à la place des chiens de garde et de leurs maîtres. La meilleure façon – la plus douce et la plus violente - de réduire l’ennemi est de lui associer un nom bien choisi, de lui appliquer une sémantique fatale.
Quel meilleur mot qu’Antisystème !
Comme déjà indiqué, un antisystème s’oppose sans rien proposer. Antisystème, c’est le refus, la négation. Antisystème, c’est la menace d’une déflagration dévastatrice puisqu’elle s’attaque au socle. Antisystème, c’est hypothéquer le monde connu pour risquer de se vouer au chaos. Antisystème, c’est l’anarchie. L’Antéchrist du néolibéralisme.
Pourtant, 79 % des français voteraient donc pour ce nihilisme pur ?
Avant de poursuivre, constatons que rien n’oblige nos chiens de garde à communiquer un tel résultat. Aurait-on desserré leur collier ? Le système en place est-il si malade qu’il serait temps pour certains de se refaire une vertu ? Leur zèle a-t-il donc des limites ? Ou bien sont-ils si sûrs d’eux qu’ils peuvent tout risquer, même évoquer leur défaite ?
Non. Il n’y a là aucune prise de risque. Il s’agit d’une stratégie qui consiste à placer dans ce vocable nihiliste tout ce qui ne valide pas le système monétaire et financier, clé de voûte du système.
Ainsi Antisystème recouvrera tout à la fois le populisme, le souverainisme, le radicalisme écologique, l’exit européen, le monétarisme dissident, les autonomes, les solidaires, les survivalistes et les éternels libertaires et anarchistes.
Antisystème, une sorte de container poubelle pour toute proposition alternative, un sas par lequel sera purgé tout ce qui ne sera pas validé par le conformisme ambiant, la pensée unique, le politiquement correct, parce que c’est leur projeeeet !
Voilà donc leur intention. L’alerte est donnée. Il s’agit de ne pas tomber dans le piège et de refuser ce vocable disqualifiant. Nous sommes une force de proposition et nous devons le faire savoir.
Alors il ne faudra évidemment pas compter sur les chiens de garde pour distiller leurs doctes analyses et exposer de façon gourmande de nouvelles perspectives. Nous devons le faire nous-mêmes et c’est l’objet de ce programme.
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Nous sommes à une époque charnière. Quelque chose se ferme, autre chose s’ouvre. Certains n’en ont pas conscience, et jouissent encore du luxe de pouvoir la traverser comme on croise sur un long fleuve tranquille. Bienheureux ceux-là qui n’entendent pas les grincements de plus en plus manifestes de la coque sous la surface.
Malgré ces surdités en forme de déni ou d’inconscience, nombreux déjà sont ceux qui s’attellent à définir ce basculement, à l’analyser et à en décrypter les perspectives.
David Goodhart, dans son livre "Les deux clans", décrit une société déchirée entre deux profils d’individus : les "partout" et les "quelque part" ; ceux qui vivent favorablement la mondialisation et la dématérialisation des biens et des services, et ceux qui sont attachés à un lieu et une identité. Les uns sont mobiles, les autres, enracinés. Les uns gagnent avec insolence et sans compassion, les autres perdent à coup de déclassement social, d’humiliations identitaires et de frustrations. Ces derniers sont désarmés, sans accès à l’expression et l’existence médiatique, et sans aucune possibilité de résistance.
Christophe Guilluy, dans son livre "La France périphérique", nous parle des citoyens modestes des banlieues lointaines et des territoires excentrés, rejetés des centres-villes pour cause de baisse de pouvoir d’achat et de précarité, privés peu à peu de services publics, des conforts et avantages dispensés généreusement aux bobos urbains. De la même façon, ceux-là perdent à tout coup et n’entrevoient aucun recours pour échapper à cette spirale descendante.
Michel Onfray et son équipe du journal "Front Populaire" investissent les sujets où se nouent ces déclassements économiques, culturels, identitaires et sociaux. De plus en plus de médias dits alternatifs – parce que cantonnés aux réseaux sociaux et au Net – (Médiapart, Le Média, QG, …) se chargent de relayer les constats de fractures multiples visibles non seulement en France et en Europe, mais aussi au niveau mondial.
Ces analyses font suite à une pléiade d’ouvrages qui se sont égrenés durant les dernières décennies. On pourra citer "L’horreur économique" de Viviane Forrester dénonçant le totalitarisme financier suite au suicide de son fils, "Les Nouveaux Chiens de garde" de Serge Halimi, "Indignez-vous" de Stéphane Hessel, les ouvrages économiques et philosophiques de Frédéric Lordon, ceux des économistes atterrés, ou encore "Bullshitt Jobs" et "La dette : 5000 ans d’histoire" de David Graeber (pour ne citer que ceux qui me viennent à l’esprit).
Autant de pointes émergées d’un iceberg grossissant décennies après décennies sous la surface.
Aujourd’hui les analyses et les constats ne suffisent plus. Les rages légitimes surgissent régulièrement à travers le monde : Occupied Wall Street, Podemos, Nuit debout, les Gilets Jaunes en France, au Chili…
Les livres de science-fiction qu’on lisait gamin étaient censés dénoncer les horreurs des dictatures passées (1984 de Georges Orwell) ou caricaturer les effets de la déshumanisation pour souligner l’importance de notre humanité (Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, Mechanic Jungle de Pierre Suragne), mais aujourd’hui nous les relisons comme des prophéties.
On le sait bien, tous, les dystopies que l’on voit sur nos écrans deviennent effroyablement plausibles, plus familières même. Blade Runner, Brazil, la série Black Mirror, Hunger Games, Matrix, Avatar, conçus comme des allégories, sont devenus des représentations d’un futur qui se rapproche sûrement et de moins en moins lentement.
Les pauvretés se multiplient, les injustices, les inégalités.
Les pollutions, les sursauts cataclysmiques, les disparitions d’espèces en masse hantent nos visions et bouchent nos espoirs de monde tout simplement vivable.
L’étau technologique se referme à coup de surveillance, de traçage, de fichage bancaire et administratif.
Les puces sous-cutanées, les vaccins obligatoires, les passeports sanitaires, le système de crédit social à points, la reconnaissance faciale généralisée, la fin du cash, la toute puissance des algorithmes gérés par IA (Intelligence Artificielle) nous sont tous promis, sans exception.
Et tout ça pour qu’à la fin, juste un peu après la perte totale de nos libertés, les spectres de la surpopulation et de famines justifient nos sacrifices générationnels.
On a vu, depuis la pandémie du Covid, la facilité, ou plutôt l’absence d’hésitation avec laquelle les décisions de privation de libertés ont été prises, et l’opportunisme dont les décideurs ont fait preuve pour étendre des privations qui n’avaient pourtant rien à voir avec la crise sanitaire.
L’avenir ne peut définitivement pas être celui vers lequel on nous entraîne. Fruit d’un plan concerté ou pas, cet avenir ne sera pas le nôtre.
Cet avenir, nous allons le construire ensemble et sans ceux qui nous conduisent depuis si longtemps dans le mur. Le système, tel qu’il nous est imposé, a tort. Le système a échoué et ne peut que se dégrader.
Nous ne sommes pas antisystème, nous pouvons mettre de l’avenir dans les cases, ce que les potentats actuels ne peuvent plus faire. Nous ne sommes pas antisystème, nous sommes d’un autre système.
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